Reflexion : la Chine ne peut pas innover

Reflexion : la Chine ne peut pas innover

Et ce qu’elle fait pour y remédier.

Les Chinois ont inventé la poudre à canon, la boussole, la roue à aubes, le papier-monnaie, les services bancaires à distance, la fonction publique et l’avancement au mérite. Jusqu’au début du XIXe  siècle, l’économie chinoise était plus ouverte et davantage régie par le marché que les économies européennes. Pourtant, nous sommes aujourd’hui nombreux à penser que l’Occident produit des penseurs et des innovateurs créatifs dans le monde des affaires, alors que la Chine est, dans une large mesure, un pays où les apprenants sont disciplinés et l’enseignement machinal : un lieu où la R&D est réalisée avec zèle, mais où les découvertes capitales sont rares.

Lorsque l’on cherche à savoir pourquoi, les réponses obtenues varient. Certains tiennent les ingénieurs pour responsables. « La plupart des start-up chinoises ne sont pas fondées par des créateurs ou des artistes, mais par des ingénieurs qui ne sont  pas assez créatifs pour imaginer des idées ou des concepts nouveaux », avance Jason Lim, rédacteur pour le site Internet TechNode.

D’autres rejettent la responsabilité sur le gouvernement pour l’ampleur sans précédent de son incapacité à protéger les droits de la propriété intellectuelle. Les produits d’Apple ont été piratés partout dans le monde, déclarent-ils, mais la Chine est le seul pays à avoir ouvert des magasins Apple dont l’intégralité de la marchandise est contrefaite, et dont les employés pensent travailler pour la société américaine.

D’autres encore mettent en cause le système éducatif chinois, et sa version moderne de ce que le spécialiste japonais Ichisada Miyazaki appelle « l’enfer des examens en Chine ». Comment des étudiants totalement obnubilés par les notes d’examens peuvent-ils se montrer innovants ?

D’après les expériences de terrain et les études réalisé en Chine depuis plusieurs décennies, ainsi que les douzaines d’études de cas qui ont été collectivement produites, ces points de vue ne nous paraissent pas infondés (nous nous devons néanmoins de souligner le fait que bon nombre des entreprises occidentales les plus innovantes ont été fondées par des ingénieurs). Ces critiques ne donnent cependant qu’une image partielle de la réalité. La Chine ne manque pas d’entrepreneurs, et la demande du marché ne fait pas défaut. Et si  l’on considère la richesse et la volonté politique considérables du gouvernement, la Chine pourrait appliquer le type de politique économique et développer les types d’établissements d’enseignement et d’institutions de recherche qui ont permis de propulser les Etats-Unis à la tête de la course à la technologie. Mais ce potentiel se réalisera-t-il ? Les difficultés sont considérables.

Un examen de la façon dont l’innovation émerge en Chine – descendante, ascendante, par l’acquisition, par l’éducation – met en lumière les complexités de la question, soulignant les promesses et les problèmes que rencontre le pays dans sa quête pour devenir le leader mondial de l’innovation.

Innovation descendante

Dans son « Plan national de développement des sciences et des technologies à moyen et long terme » (PML) de 2006, le gouvernement chinois a affirmé son intention de transformer la Chine en « société innovante » d’ici à 2020 et en leader mondial dans les domaines scientifique et technologique d’ici à 2050. Il ne s’agissait pas de paroles en l’air. Pékin a acquis une solide expérience en matière d’élaboration de politiques et d’incitations, et de contrôle du respect de ces dernières par les citoyens et les fonctionnaires de l’administration locale, et ce jusqu’au niveau des villages.

En effet, depuis près de quarante ans, le gouvernement chinois utilise sa puissance financière et sa volonté politique pour stimuler l’innovation depuis le sommet. Dans les années 1980 et 1990, la Chine a créé la Fondation nationale des sciences naturelles, le Programme de laboratoires clés d’Etat, et a réorganisé son Académie des sciences de type soviétique afin de financer la recherche universitaire pré-commerciale sur la base d’un examen par les pairs (plutôt que politique), un peu comme le fait la National Science Foundation américaine. Dans le même temps, l’Etat, avec l’aide des administrations régionales, a financé la création de zones de développement high-tech afin d’appuyer la commercialisation des innovations. Depuis 1985, année de création de la première zone de ce type à Shenzhen, celles- ci se sont multipliées au point de constituer maintenant une étape fréquente des visites officielles de toute grande ville chinoise.

On peut mesurer le pouvoir du gouvernement en matière de formation des industries innovantes naissantes aux résultats de sa politique dans le secteur des éoliennes. En 2002, le gouvernement a lancé un appel d’offres ouvert relatif à des projets de parc éolien, afin de stimuler la concurrence entre fabricants d’éoliennes. Les importations étrangères ont rapidement inondé le jeune marché chinois. Selon un modèle qu’il reproduira dans d’autres secteurs, le gouvernement a alors exigé des entreprises publiques qu’elles achètent 70% de leurs composants auprès de sociétés chinoises. Les entreprises étrangères ont continué à investir directement en Chine, mais en 2009, six des dix premières entreprises de fabrication d’éoliennes étaient chinoises. Ceci fut le couronnement d’une croissance fulgurante de la part des entreprises nationales dans les ventes totales, passant de 51% en 2006 à 93% en 2010.

L’objectif du PML de 2006 était de ramener en quelques années la dépendance de la Chine aux technologies importées à 30% ou moins, d’augmenter le financement national en R&D et de distancer les rivaux étrangers dans ce que le gouvernement identifia comme des « secteurs émergents stratégiques », notamment les biotechnologies, les technologies éco-énergétiques, la fabrication d’équipements, les technologies de l’information et les matériaux de pointe. A cette fin, le gouvernement chinois a mis en place des aides à l’exportation en faveur des entreprises chinoises et une politique exigeant des ministères et entreprises publiques qu’ils achètent les biens auprès de sociétés chinoises dans la mesure du possible. Malgré les objections soulevées contre ces mesures, contraires aux modalités d’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), peu d’entreprises internationales ont quitté le pays, se résignant à l’inverse à soutenir l’innovation sur le marché intérieur chinois.

En fait, alors qu’on comptait quelque 600 centres de R&D étrangers en Chine en 2004, ce nombre avait plus que doublé en 2010, et leur envergure ainsi que leur importance stratégique s’étaient accrues. Pfizer a transféré son siège social Asie à Shanghai cette même année. En 2011, ont ouvert à Pékin le centre de R&D Asie-Pacifique de Microsoft et le centre technologique de pointe, comprenant plusieurs laboratoires d’ingénierie et de conception de General Motors. Le siège de la R&D Asie de Merck, situé à Pékin, était programmé pour être opérationnel en 2014.

Il n’existe peut-être pas de démonstration plus convaincante de la capacité de la Chine à définir et, souvent, à réaliser des objectifs ambitieux, que le soutien apporté par le gouvernement au réseau ferroviaire à grande vitesse et aux efforts visant à envoyer des hommes sur la Lune, deux projets d’envergure considérable qui nécessitent un financement d’une ampleur apparemment impossible en Occident et une capacité à inventer et à adapter de nombreuses technologies. De telles ambitions pourraient, il nous semble, relancer l’innovation, comme les programmes financés par l’Etat l’ont fait aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XXe siècle.

Innovation ascendante

Il existe cependant des limites à ce qu’un gouvernement, fût-il aussi fort et motivé que celui de la Chine, peut imposer en matière d’innovation. Des courants puissants, qui puisent leurs origines dans le système communiste et la culture ancestrale chinoise, s’opposent aux intentions du gouvernement et aux ressources du pays.

Examinons comment ces forces peuvent entraver l’épanouissement de la créativité entrepreneuriale, par ailleurs balbutiante en Chine. Au début des années 1990, Edward Tian (Tian Suning), entrepreneur formé aux Etats-Unis, a fondé la start-up de télécommunications AsiaInfo (aujourd’hui AsiaInfo-Linkage) qui, en l’espace de trois ans, s’est développée pour devenir une société florissante employant 320 personnes et générant un chiffre d’affaires de 45 millions de dollars.

En 1996, déçu par la lenteur des évolutions technologiques dans le secteur des télécommunications en Chine, le vice- président de l’époque, Zhu Rongji, a convaincu Tian qu’il était de son devoir de quitter AsiaInfo pour diriger une nouvelle société, China Netcom, qui s’apprêtait à développer un réseau de fibre optique reliant quelque 300 villes. Lorsque l’un d’entre nous (McFarlan) visita l’entreprise en 2001, il s’agissait d’une société innovante caractérisée par une culture d’ouverture et de créativité, bien qu’étant la copropriété de quatre organismes publics. En 2002, lors du démantèlement par le gouvernement du géant des télécommunications China Telecom, ses 10 marchés des provinces du Nord furent intégrés à China Netcom. En un éclair, Tian se retrouva à la tête d’une entreprise de 230 000 personnes.

Le choc culturel entre les deux organisations fut extraordinaire. Tian était considéré par de nombreux employés de China Telecom comme un étranger, un américain qui essayait de réformer une entreprise publique de manière inacceptable. Six mois après la fusion, McFarlan présenta une étude de cas sur China Netcom à 70 cadres supérieurs chinois, dont 20 étaient issus du secteur des télécommunications. Au lieu de tirer les leçons de ce cas sur la relation entre changement organisationnel et succès commercial, le groupe critiqua Tian pour ses modes de gestion « non chinois », puis accusa McFarlan d’incompétence pour avoir présenté en Chine la culture de la Silicon Valley de manière si positive. Tian quitta rapidement son poste de PDG, puis le conseil d’administration de China Netcom.

Pour les étrangers, China Netcom a fini par ressembler à une société de télécommunications moderne, disposant des structures de gouvernance nécessaires pour être cotée sur les places boursières internationales. Mais, dans le fond, elle restait une entreprise publique. Lorsque l’ont soumet le cas China Netcom à des étudiants de MBA, nous leur demandons de dénicher le véritable patron au sein du conseil d’administration. Nous leur demandons : où se trouve le secrétaire du parti ? Le parti communiste exige qu’un représentant soit présent dans toute société comptant plus de 50 employés. Chaque société de plus de 100 employés doit disposer d’une cellule du parti, dont le responsable rend directement compte au parti au niveau de la municipalité ou de la province. Ces exigences mettent en péril la nature exclusive de la direction stratégique, des opérations et de l’avantage compétitif d’une société, entravant ainsi le comportement concurrentiel normal, sans parler des incitations qui motivent généralement les fondateurs à développer leurs propres entreprises.

Mais même si le gouvernement démantelait les cellules du parti et, au contraire, redoublait d’efforts pour encourager les percées novatrices, un élément dissuasif encore plus puissant subsisterait : les réalités économiques des marchés dans lesquels les sociétés chinoises opèrent. Pourquoi se donner du mal à être les premiers à proposer des offres innovantes lorsque les perspectives de gains et de croissance associées à des améliorations marginales sont si vastes, que ce soit sur le marché intérieur ou à l’étranger ?

Prenez le cas du portail B2B Alibaba, qui, en 2011, était si chancelant que nous avions craint qu’il ne fasse faillite. Pourtant, grâce à l’adaptation créative de technologies étrangères aux besoins des marchés en développement, Alibaba offre maintenant ses services à 80 millions de clients dans près de 250 pays. Le succès de son site d’enchères sur Internet, Taobao, a réussi à contraindre eBay à quitter la Chine. Prenez encore l’exemple de Baidu, le leader chinois des moteurs de recherche, qui s’est considérablement développé sur son marché intérieur, avec une offre qui n’apporte pourtant aucune innovation technologique et ne remet pas non plus en question l’orthodoxie politique. Grâce à l’adaptation de son produit, de son organisation et de ses procédés aux besoins du patchwork que constituent les marchés régionaux de la Chine, Baidu détient maintenant 80% des parts de ce qui est devenu le marché de la recherche en ligne le plus vaste du monde.

A l’instar du Japon qui, au cours des trois décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, a rattrapé les Etats-Unis sur le plan technologique dans de nombreux secteurs, la Chine fait aujourd’hui la même chose grâce aux innovations incrémentielles. Adapter des technologies est devenue une pratique habituelle et très lucrative. L’obtention de ces technologies par le biais d’acquisitions constitue cependant une nouvelle tendance de taille.

Innovation par l’acquisition

On a beaucoup écrit sur la vague actuelle d’investissements directs chinois à l’étranger, dont la plupart étaient orientés vers les ressources en matière première, particulièrement en Afrique et en Amérique latine. Le virage vers les Etats-Unis et l’Europe afin d’acquérir des technologies n’en est pas moins important pour autant. Lassées de payer des droits de licence et des redevances, les entreprises chinoises, encouragées par leur gouvernement, ont de plus en plus cherché à acheter plutôt qu’à louer (ou voler) les capacités d’innovation radicale par le biais d’acquisitions de technologies mais aussi de talents.

Prenez le cas de Huawei. William Plummer, vice-président pour les affaires extérieures de la société et ancien diplomate américain basé à Washington DC, a décrit un jour la puissante société de télécommunications comme « la plus grande société dont vous avez jamais entendu parler », chose que peu de gens pourraient encore affirmer aujourd’hui, en particulier au vu de ses 16 centres de R&D dans le monde et des controverses qu’ont suscitées ses tentatives d’acquisition aux Etats-Unis.

Haier, un fabricant chinois d’électroménager et d’électronique grand public de premier plan, dispose d’un réseau de centres mondiaux de conception et de R&D tout aussi vastes, situés aux Etats-Unis, au Japon, en Corée, en Italie, aux Pays-Bas et en Allemagne. Pour les fabricants automobiles chinois, la ville italienne de Turin est l’endroit où il faut être, et JAC, FAW et Changan y exploitent déjà des centres de R&D.

Même si les courants culturels anti-occidentaux peuvent être puissants dans leur pays, les entreprises privées chinoises opérant à l’étranger ont su tirer parti des cadres dirigeants locaux talentueux. Plummer, par exemple, est loin d’être le seul occidental de haut rang à avoir travaillé chez Huawei. En 2010, la société a recruté John Roese, ancien directeur de la technologie de Nortel, afin de piloter les efforts en R&D de la société en Amérique du Nord ; l’année précédente, l’ancien directeur technique de British Telecom, Matt Bross, était recruté pour superviser l’intégralité du budget de 2,5 milliards de dollars et des opérations de R&D. Tous les deux rendaient directement compte au fondateur et président de Huawei, Ren Zhengfei, un ancien officier de l’armée chinoise. De même, le fabricant d’éoliennes Goldwind recruta l’américain Tim Rosenzweig, une personnalité reconnue dans le monde de l’énergie verte, afin d’occuper le poste de premier PDG des opérations de la société aux Etats-Unis. Il recruta à son tour des cadres disposant d’une expérience interculturelle et d’une expertise dans ce secteur.

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Le fabricant de machines Sany, dont les principaux concurrents internationaux sont notamment Caterpillar et Komatsu, a d’abord essayé de percer sur les marchés européens et américains en faisant appel à des talents et des technologies chinois. Mais quelques erreurs ont encouragé la société à établir des centres de R&D étroitement liés à ses sièges régionaux européens et américains et à les pourvoir en professionnels originaires de ces pays. Et en 2012, l’acquisition de Putzmeister, un fabricant allemand de pompes à béton de premier plan, a permis à Sany d’accéder à la technologie de son ancien concurrent.

Pour résumer, il apparaît clairement que les entreprises chinoises font un effort concerté et efficace pour combler leurs principales lacunes en termes de capacité d’innovation par le biais d’acquisitions et de partenariats étrangers, et ceci de plus en plus souvent. Il n’est reste pas moins que, pour devenir une force majeure de l’innovation au XXe siècle, les Chinois doivent former les innovateurs du futur. C’est là le travail des universités chinoises.

Innovation par l’éducation de la prochaine génération

Dans la première moitié du XXe siècle, la Chine a créé de solides institutions publiques (l’université de Pékin, l’université de Jiao Tong, l’université nationale centrale et, à la pointe de la recherche, l’Académie Sinica). Celles-ci s’accompagnaient d’un ensemble créatif d’établissements d’enseignement supérieur et d’universités privés (l’université de Yenching, l’université de St. John et le Peking Union Medical College, pour n’en citer que quelques-uns). Tous ont été soumis à un processus de soviétisation dans les années 1950 et détruits lors des bouleversements politiques qui ont accompagné la Révolution culturelle.

Aujourd’hui, les universités chinoises sont de retour. Prenez le cas de l’université Tsinghua. Elle a été créée en 1911 grâce à des fonds rendus par les Américains dans le cadre de la « Boxer Indemnity », sous forme d’établissement d’enseignement supérieur des arts, lettres, sciences humaines et sociales (« liberal arts college »), proposant un cursus de deux ans afin de préparer les élèves à étudier aux Etats-Unis. Elle est devenue une université polyvalente à l’époque du Kuomintang (John Fairbank, le fondateur des études chinoises modernes aux Etats-Unis, y a appris l’histoire chinoise dans les années 1930) et une université polytechnique de style soviétique dans les années 1950. Elle revendique aujourd’hui sa place de grande université polyvalente, où il est plus difficile d’être admis qu’à Harvard ou à Yale. A compter de 2016, Tsinghua ouvrira chaque année les portes de son premier établissement d’enseignement supérieur véritablement international (le Schwarzman College, baptisé ainsi en l’honneur du donateur américain Stephen A. Schwarzman) à 200 étudiants de troisième cycle venus du monde entier. Les boursiers Schwarzman qui y résideront seront, selon Tsinghua, les boursiers Rhodes du XXIe siècle.

Si l’on considère simplement le nombre d’étudiants formés, les changements récents survenus dans le système de l’enseignement supérieur chinois sont encore plus radicaux que ceux apportés par la grande expansion d’après-guerre de l’enseignement supérieur aux Etats-Unis ou le développement des universités de masse en Europe dans les années 1970 et 1980. Les universités chinoises, dont la plupart avaient été fermées durant la décennie précédente, ont rouvert leurs portes en 1978, accueillant un peu moins d’un million d’étudiants. En 1998, on ne comptabilisait encore que 3,4 millions d’inscriptions, bien loin des 14,5 millions d’étudiants inscrits aux Etats-Unis à la même époque. En 2012, 23,9 millions d’étudiants fréquentaient les établissements d’enseignement supérieur en Chine, soit quelque quatre millions de plus que le nombre d’inscriptions dans les « colleges » et universités aux Etats-Unis.

Les établissements d’enseignement supérieur et les universités privés représentent maintenant plus du quart de tous les établissements d’enseignement supérieur en Chine, et se développent plus rapidement que les établissements publics. Les grandes entreprises s’y mettent aussi. L’unité Taobao d’Alibaba a ainsi fondé l’université Taobao, initialement pour former les propriétaires, gestionnaires et forces de vente des e-entreprises. Avec le temps, elle proposera un enseignement commercial en ligne à plus d’un million d’étudiants.

La Chine produira bientôt chaque année plus de titulaires de doctorats que n’importe quel autre pays dans le monde, les universités chinoises visant à être les berceaux de la recherche créative de pointe et des forces capables de transformer la recherche et l’innovation en gains de productivité. Le gouvernement chinois et de nombreuses autres sources injectent des ressources considérables dans les plus grands établissements. Dans dix ans, les budgets de la recherche des universités d’élite chinoise avoisineront ceux de leurs homologues américaines et européennes. Et, dans le domaine de l’ingénierie et de la science, les universités chinoises seront parmi les premières dans le monde.

Les universités chinoises vont-elles définir les normes mondiales au XXIe siècle ? C’est possible (bien qu’à l’heure actuelle, aucune ne se place parmi les 50 premières), et ce tout simplement grâce aux ressources dont elles disposeront probablement. Mais la principale question est de savoir si la Chine dispose ou non d’un cadre institutionnel favorable à l’innovation.

A l’heure actuelle, notre réponse est non. Les structures de gouvernance des universités publiques chinoises contient toujours beaucoup trop de décisions à un trop petit nombre de personnes trop imbues de leur pouvoir. Les universités chinoises comme les entreprises publiques pâtissent des comités du parti, et l’autorité du secrétaire du parti de l’université est supérieure à celle du président. Bien que quelques remarquables secrétaires du parti aient joué un rôle essentiel dans le succès de leurs universités, en règle générale, ce système de gouvernance parallèle limite plutôt qu’il ne renforce la circulation des idées.

La liberté d’aller au bout d’une idée, quelle que soit l’issue, est une condition préalable à l’innovation dans les universités. Mais, selon toutes les études comparatives, les membres du corps enseignant des établissements chinois ne jouent qu’un rôle réduit – si ce n’est aucun – en termes de gouvernance. En effet, le fait que le vice- président de la Chine de l’époque (actuellement président), Xi Jinping, se soit rendu dans les grandes universités chinoises en juin 2012 pour appeler à une supervision renforcée de l’enseignement supérieur par le parti constitue un signal alarmant.

L’INNOVATION ABSOLUE, comme le leadership et le pouvoir absolus, sont peut-être surestimés. Dans l’industrie comme dans l’éducation, la Chine peut profiter pendant quelques temps encore de ce que Joseph Schumpeter a appelé l’avantage du dernier venu : à savoir la capacité d’apprendre du travail de ses prédécesseurs immédiats et de l’améliorer.

Ces dernières décennies, la Chine a sans aucun doute fait preuve d’innovation par le biais d’adaptations créatives et est maintenant en mesure de faire beaucoup plus. Mais la Chine peut-elle prendre la place de chef de file ? L’Etat chinois aura-t-il la sagesse de mettre en lumière ce que Schumpeter a appelé le véritable esprit d’entreprise et la patience de favoriser son émergence totale ? Nous en doutons. Le problème, selon nous, n’est pas la capacité d’innovation ou la capacité intellectuelle du peuple chinois, qui est sans limite, mais le monde politique dans lequel ses écoles, ses universités et ses entreprises doivent opérer, qui est, lui, très limité.

 

 

Maître de la pensée évolutive intelligente

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