La pandémie a surpris l’Europe en mettant en lumière ses pénuries de masques et de produits pharmaceutiques. L’industrie s’est mobilisée pour y répondre là où c’était possible. L’Union s’est dotée d’un nouvel instrument de rétorsion qui lui permet de bloquer ses exportations de vaccins ou composants vers des pays qui ne joueraient pas le jeu de l’ouverture. «On ne l’a jamais utilisé, mais le fait qu’on ait cet outil a signifié beaucoup», souligne le commissaire au Marché intérieur Thierry Breton. «Ça nous met dans une situation où nous avons les munitions pour continuer à être ouverts, mais à nos conditions.»
Parallèlement à ces réactions d’urgence, la Commission s’est lancée dans une analyse approfondie des dépendances stratégiques des Vingt-Sept, pour éviter de voir l’Union tributaire, à l’avenir, des décisions unilatérales de ses partenaires commerciaux.
Dépendances stratégiques
L’administration a passé au crible 5.200 produits importés, et en a identifié 137 dans des secteurs sensibles (santé, énergie, matières premières…) pour lesquels l’Union est hautement dépendante. L’écrasante majorité de ces produits viennent de Chine (52% en valeur), loin devant le Vietnam (11%), le Brésil (4%) et Singapour (4%). Pour l’essentiel, l’industrie européenne est la mieux placée pour réduire ces dépendances en diversifiant ses chaînes d’approvisionnement, estime-t-on au Berlaymont. Mais la Commission s’attarde sur 34 produits (0,6% de la valeur des importations) pour lesquels le problème est plus sensible, notamment en raison des faibles possibilités de diversification.
Une vingtaine de ces produits sont des matières premières et produits chimiques liés aux industries à forte intensité énergétique – du diamant, du béryllium, de la néphéline, ou du mica, entre autres. La plupart des autres sont liés à l’industrie de la santé. Les vulnérabilités concernent aussi les technologies avancées, du cloud aux microprocesseurs.
Pour chaque produit, la Commission appelle à diversifier les importations quand c’est possible, mais aussi recycler et développer des innovations alternatives.
«Nous devons devenir plus auto-suffisants», plaide Thierry Breton. Il assure qu’il n’y a là aucune idéologie, alors que l’Europe est tiraillée entre son mot d’ordre en faveur de l’autonomie stratégique et les réticences de certains États membres qui insistent sur l’ouverture de l’économie européenne comme vecteur de prospérité. La ligne de la Commission est pragmatique, sans tabou ni idéologie, plaide Thierry Breton: «Nous sommes un continent ouvert, et on le restera évidemment. Mais on le fera à nos conditions.»
Vers l’avion européen sans carbone
La Commission s’investit aussi dans la mise en mouvement des acteurs industriels – les «écosystèmes», qui réunissent poids lourds et PME. Elle veut accélérer le développement de filières qu’elle identifie comme porteuses et trop peu soutenues par le marché. Elle a déjà mis sur pied une «Alliance» pour les matières premières, qui doit notamment accélérer le développement des filières de recyclage. Elle en a aussi lancé deux qui doivent permettre d’accélérer la décarbonation – l’alliance des batteries, celle de l’hydrogène.
La Commission en lance une nouvelle pour les semi-conducteurs à présent, et une autre pour les données industrielles. Et elle envisage d’en créer deux autres: une sur les lanceurs spatiaux, l’autre sur l’aviation zéro émission – l’avion du futur, électrique ou à l’hydrogène par exemple, qui pourrait éclore au début de la prochaine décennie, estime Thierry Breton.
Mise à jour
Ce sont autant de rampes de lancement qui pourront être soutenues en priorité par des financements publics – via la mise en commun de ressources pour les Projets impor- tants d’intérêt commun (IPCEIs) dans les secteurs où le marché ne suffit pas à financer des percées.
Ces annonces sont ficelées dans une mise à jour de la stratégie industrielle de la Commission. Qui avance dans le même mouvement une proposition de loi (règlement) pour armer l’Europe contre la concurrence déloyale de grandes entreprises étrangères subventionnées. Les règles européennes sur la concurrence, les marchés publics et les instruments de défense commerciale ne s’appliquent pas aux subsides étrangers, ce qui ouvre la porte à des avantages indus aux acteurs non-européens. Une porte en passe de se refermer au nom de l’équité.